Mefistofele à Lyon

Mefistofele

Arrigo Boito

 

Opéra en un prologue, quatre actes et un épilogue, 1868
Livret du compositeur

Nouvelle production
En coproduction avec l’
Opéra de Stuttgart

 

 

Personnages et interprètes

 

Mefistofele                        John Relyea

Faust                                    Paul Groves

Wagner / Nereo               Peter Kirk

Margherita/Elena           Evgenia Muraveva

 

Marta/Pantalis                 Agata Schmidt

 

Direction musicale          Daniele Rustioni

Mise en scène                    Alex Ollé / La Fura dels Baus

Décors                                  Alfons Flores

Costumes                            Lluc Castells

Lumières                             Urs Schönebaum

Chef des Chœurs             Johannes Knecht

 

Chœurs Maîtrise               Karine Locatelli

 

Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon

 

 

 

« Ouvrage curieux d’un homme qui cherche à être original », c’est ainsi que Verdi juge Mefistofele, « l’opéra-manifeste » de l’ambitieux Boito qui, après avoir tant combattu l’esthétique du maestro, collabora avec lui en écrivant le livret de ses deux derniers chefs-d’œuvre, Otello et Falstaff. La création de ce Faust italien qui reste l’unique tentative musicale de restitution des deux Faust de Goethe, se déroula dans une agitation telle que la police dut intervenir. Le public milanais accueillit sous les huées et les sarcasmes, l’œuvre de ce jeune compositeur de 26 ans, lié à l’avant-garde littéraire, « la Scapigliatura », dont l’objectif était bien de révolutionner l’art lyrique italien, avec ce qui s’apparente à une grande fresque métaphysique sous forme de tableaux successifs, dans le sillage de La Damnation de Faust de Berlioz. Malgré cet élan novateur marqué par de fulgurantes intuitions et des contrastes déstabilisants pour l’auditeur, la partition recèle de nombreuses influences, à commencer par celles de Gounod et Wagner. L’esthétisme du grand opéra à la Meyerbeer et l’écriture mélodique profondément italienne encore proche du bel canto, estompent la volonté réformatrice du compositeur. Durant les sept années suivant la création, Boito, très meurtri par son échec, tira les leçons de l’incompréhension du public en remaniant profondément son livret qu’il allégea. La nouvelle version de Mefistofele, donnée en 1875 à Bologne, ville favorable à Wagner, connut enfin un succès qui perdure même si l’ouvrage n’est jamais entré dans le grand répertoire. Le rôle de Mefistofele, d’une puissance saisissante, fut chanté par les plus grandes basses : ainsi Fiodor Chaliapine fit ses débuts à la Scala en 1901 en incarnant le maléfique Mefistofele aux côtés de Caruso, en Faust, sous la direction de Toscanini.

 

 

Résumé

 

Mefistofele parie qu’il parviendra à corrompre le vieux savant Faust, donné comme un exemple de vertu et de sagesse en lui proposant un pacte. Faust lui donnera son âme en échange d’un instant de bonheur d’une intensité unique. Le diable favorise la rencontre du vieux philosophe miraculeusement rajeuni avec la jeune et innocente Marguerite, puis il le fait participer à une nuit de sabbat. Marguerite, abandonnée par son amant, est jetée en prison pour avoir empoisonné sa mère et noyé son enfant. Son âme est sauvée quand elle implore Dieu en reniant son amour pour Faust qui est entraîné par Mefistofele en Grèce où il déclare sa flamme à la belle Hélène. Redevenu vieux, Faust médite avec amertume sur son expérience. Mefistofele, sentant qu’il lui échappe, essaie à nouveau de le tenter ; mais Faust meurt réconcilié avec Dieu, tandis que le démon disparaît en reconnaissant sa défaite.

 

 


Les commentaires du Président de l'Association des Amis de l'Opéra Grenoble sur  "Mefisofele"  d'Arrigo BOITO :

 

            Deuxième sortie de la saison 2018.2019, le dimanche 21 octobre 2018, à l’Opéra de Lyon pour une représentation attendue d’une œuvre rare et singulière, le "Mefistofele" d’Arrigo Boito, apparu un peu comme un météore dans le répertoire lyrique.

- Météore parce qu’œuvre unique de son compositeur bien plus célèbre par son remarquable travail de librettiste chez Ponchielli ("La Gioconda") et surtout chez Verdi ("Otello" et "Falstaff").

- Météore parce qu’œuvre portée par une volonté affirmée de transformation de la création lyrique italienne vers une modernité capable d’offrir au public un opéra de synthèse, une œuvre d’art total !

- Météore parce que seul opéra s’attaquant au mythe intimidant du "Faust" de Goethe, déjà source de nombreuses adaptations musicales ("La Damnation de Faust" de Berlioz, le "Faust" de Gounod, la "Faust symphonie" de Liszt, etc….), mais dans sa globalité, à savoir mêlant le "1er Faust" (de caractère plus fantastique, le plus populaire) et le "Second Faust" (de caractère plus philosophique) de Goethe. Démarche ambitieuse et unique !

Boito, fin lettré et profond connaisseur de la littérature européenne, a construit un livret conséquent, difficile à équilibrer, autour du mythe du "Docteur Faust" immortalisé par Goethe, mais en articulant son intrigue autour du personnage diabolique, Mefistofele, et non autour de Faust comme tous les autres compositeurs.

Et surtout, son œuvre musicale comporte une dimension philosophique, voire métaphysique, très affirmée. Parti pris d’autant plus difficile à traduire avec des notes de musique.

 

C’est pourquoi cet opus fut accueilli fraîchement par le public milanais dérouté par un livret trop copieux et trop intellectuel, servi par une musique trop sophistiquée tirant vers un "wagnerisme" de mauvais aloi !

 

Peu importe tout ce contexte chaotique de la création, puis de la révision (durant 7 ans !), de la partition car l’œuvre est incontestablement de la grande et belle musique digne de ce nom !

Pour preuve ?

Un prologue grandiose à couper le souffle ! Orchestration somptueuse et chœur imposant associés en une évocation céleste de la rencontre entre le Créateur, Dieu, ici exprimé par le chœur, et Mefisto le mettant au défi d’attirer Faust dans ses filets pour gagner son âme. Dieu, confiant en la piété de Faust, accepte le défi !

 

La mise en scène de cette production a été confiée au célèbre metteur en scène catalan Alex Ollé du Collectif de la Fura dels Baus, connu pour sa vision singulière et spectaculaire de l’opéra.

Du spectaculaire, il en fut sur scène avec un immense plateau incliné supportant des rangés de bureaux alignés au cordeau, évoquant à la fois une salle de classe ou un laboratoire moderne et glacé, où des élèves-scientifiques, en combinaison aseptisée, travaillent à la dissection d’un organe (un cœur ?). Parmi eux, devant, le Docteur Faust plongé dans ses études même au-delà de la fin du cours alors que les autres ont évacué les lieux, laissant Faust seul bientôt face à son tentateur maléfique.

Intervient alors ce dernier, Mefistofele, chargé de l’entretien du laboratoire, et réfugié dans son antre sombre au sous sol, antre dévoilé par une élévation générale impressionnante du plateau !!

Ensuite, Alex Ollé a conçu le déroulé de l’œuvre en une imbrication complexe et pour le moins sophistiquée de 3 décors, dont 2 accrochés dans les cintres. Images mécaniques de structures métalliques mêlant escalier, plateformes, rampes, constituant une sorte de cathédrale de fer, mise en action par une forêt de câbles.

Très impressionnant ! Nous sommes obligés de saluer la performance technique incontestable du personnel scénique de l’Opéra de Lyon !

Parmi ces multiples structures évoluent les personnages puis l’ensemble des choristes, fort nombreux, en une chorégraphie presque millimétrée et délicate à gérer sur ce plateau un peu resserré, ce qui induit parfois un aspect trop statique vu la difficulté d’évolution.

Idée intéressante car théâtrale au niveau visuel et mécaniquement remarquable. Mais pourtant, au long du déroulé de l’intrigue, elle étouffera le jeu dramatique des protagonistes par sa formidable présence incontournable, baignant dans une lumière souvent aveuglante. Alors, une certaine monotonie va s’installer une fois passé l’étonnement de la découverte, car il n’y aura plus guère de surprise ensuite.

Alex Ollé, trop préoccupé par la gestion de sa "machine" et par celle du déplacement des interprètes en a oublié d’approfondir le travail de jeu théâtral des personnages laissant parfois une certaine vacuité dans l’intensité dramatique.

Cependant, toutes ces réflexions ne nous ont pas empêchés d’apprécier l’ensemble de la prestation ! Ne boudons pas notre plaisir !

La transposition moderne de l’intrigue, avec tenue de laboratoire et paillettes de cabaret (trop souvent vues !!) ne fut en rien choquante pour la lisibilité de l’œuvre.

 

D’autant que nous fumes servis par un plateau d’interprètes de qualité et par un orchestre grandiose !

-        Côté interprètes donc :

Un rôle titre impressionnant de profondeur vocale, de noirceur, tenu par la basse John Relyea, à la stature  imposante. Cependant, Alex Ollé en a fait un personnage trop en retrait, plutôt spectateur que manipulateur. Trop peu démiurge !!

A son côté, le Faust, hélas en méforme vocale ( ?), du ténor Paul Groves, artiste de qualité  (cf le superbe War Requiem de Britten ici à Lyon !) mais dont la voix ne porte plus malgré un timbre encore lumineux.

Et pourquoi l’avoir réduit en un simple quidam plutôt falot ??

 

Face à eux, la Margherita méritante de la soprano Evgenia Muraveva, à la voix chaude et sensible qui s’affirmera de mieux en mieux en un jeu sensible et dramatique, notamment à l’Acte III, celui de son emprisonnement où Boito la gratifie d’arias superbes !

 

Un jeune ténor clair en Wagner, l’élève de Faust, celui de Peter Kirk.

 

Une voix profonde, celle de la contralto Agata Schmidt en Marta.

 

Et puis et surtout, le Chœur de l’Opéra de Lyon au sommet de son art !! Présence imposante mais à la vocalité tant subtile et céleste que puissante, surtout quand il vient chanter de front à l’avant scène !!! La musique vibre dans tout notre corps ! Bravo à son chef Johannes Knecht !!

Associé à ce chœur professionnel, les jeunes enfants de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, en chérubins célestes, attestant là aussi d’un superbe travail vocal de leur voix légères et parfaitement articulées, affrontant une partition particulièrement délicate de contrechants entremêlés. Bravo à leur chef, Karine Locatelli !

 

Quid de l’orchestre de l’Opéra de Lyon ?? Fidèle à sa réputation !!!

Puissant, animé, souple, clair, symphonique, etc…..Bref, remarquable !

Et tenu tout aussi remarquablement par son chef titulaire, le fougueux et sympathique Daniele Rustioni, véritable chef d’opéra portant sans cesse le théâtre musical au premier plan mais attentif à ses interprètes et  à l’expression musicale des musiciens dans la fosse ! Bravissimo et bel applauso final !!!

 

Placés tout devant, entre le 2ème et le 5ème rangs, nous étions immergés dans cette musique de qualité, trop souvent mésestimée car fruit d’un compositeur dit de "second rang", plutôt réputé librettiste !

N’en déplaise, son "Mefistofele" demeurera une œuvre incontournable du répertoire lyrique.

Elle nous apporte un éclairage construit du mythe faustien, porteur de réflexions complexes et intéressantes sur cette expression de l’humanité.

Encore une fois, ici réside la véritable vocation du genre opéra. Longue vie à lui !

 

Alain GUIPONT

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